LaPolisphere

La sphère politique

Mercredi 1er février 2012 à 20:14

Et si on vivait tous ensemble ?

 

En ces temps mornes d’individualisation maximale et de culte de la propriété, la formulation même du projet, d’apparence pourtant banale, fait tilt, évoquant instantanément de jeunes et vaillants insurgés, des tentes plantées à Wall Street et d’utopiques slogans.

La réalité est à la fois plus nuancée et décalée : une utopie du 3e age. Et c’est d’abord cela qui surprend agréablement. Parler de la vieillesse au cinéma est à la fois rare et tabou ; recalé d’emblé comme ennuyeux, angoissant et loin des préoccupations de spectateurs plutôt jeunes qui aspirent à rêver et à s’évader. Plus généralement, vieillir c’est envahir, menacer de son altérité une société qui se rêve efficace, rapide et sexy,  idéal que n’incarnent pas vraiment ces retraités bedonnants, fripés et trainant du pied.

Et la encore le film de Stéphane Robelin surprend en nous présentant une bande de joyeux lurons, certes affaiblis physiquement mais qui pourraient nous donner de belles leçons de vie ! On ressort boosté par cette impressionnante brochette d’acteurs (Guy Bedos, Pierre Laurent, Claude Rich, Géraldine Chaplin et la superbe Jane Fonda) campant des personnages attachants. Sous perfusion de vin rouge et de bonne bouffe, fidèles à leurs retrouvailles du dimanche midi, encore très portés sur le sexe, ils savent profiter de leurs dernières années et nous donnent envie de profiter pleinement de toutes celles qu’ils nous restent.

Au final un sujet original et actuel joliment traité.

 

Mercredi 8 février 2012 à 23:07

 «Elles»
Entre coup de coeur et coup de gueule, le film qui fait débat



C’est un film qui résiste, ne dit jamais ce qu’on aimerait entendre. D’emblée on est immer- gés dans une réalité dérangeante, celle de jeunes étudiantes qui se prostituent. On arrive malgré soi pleins de préjugés, prêts à plaindre ces pauvres petites forcées de vendre leur corps pour survivre ; se reconnaissant dans l’attitude de Juliette Bi- noche : celle qui observe de loin ce monde mé- connu. Mais la force de « Elles » c’est de brouiller en permanence les repères, de bousculer nos at- tentes, de balayer d’un revers de main nos préju- gés. Et c’est sans doute ça qui en agace certains, cette sensation d’inconfort, de ne jamais pouvoir tenir pour certaine la moindre affirmation plus de quelques minutes.

 

« C’est comme la clope en fait, c’est dur d’arrêter ». Voilà l’explication que donne une des deux jeunes étu- diantes interviewées par le personnage de Juliette Binoche (Anais Demoustier éclatante de spontanéité). C’est cette facilité qui choque, ce détachement qui déstabilise la jour- naliste autant que le spectateur, comme si il était interdit de prendre avec autant de désinvolture un tel acte. « Une pute c’est une pute », comme le dit si bien l’écœurant époux propre sur lui de Juliette Binoche (Louis Do de Lencque- seing, toujours aussi parfait dans son rôle de petit bour- geois macho limite salaud), et se doit par la même d’être l’archétype de la femme désespérée et soumise. Et c’est bien ce qui dérange ici, cet inversement des rôles qui fait de la « putain » une jeune fille ordinaire, bien dans sa peau et dans sa sexualité ; et de la « maman » l’épouse rejetée par son mari et malheureuse au lit, dont l’attitude se confond peu à peu avec celle de la prostituée.

La réalisatrice nous plonge dans un univers à la limite du documentaire où tout prend l’allure un peu surnatu- rel d’un objet scruté au microscope : apparemment clair à l’œil nu, flou au premier coup d’œil dans l’objectif et pro- gressivement de plus en plus clair. C’est cette démarche la qu’il faut accepter : cette vérité qui ne vient qu’après.

Vendredi 10 février 2012 à 18:48

 L'ordre et la morale ou le chao colonialiste


Une silhouette agenouillée, un drapeau en berne, un ciel chaotique, l’affiche du dernier opus de Kassowitz, « L’ordre et la morale » n’a rien d’alléchant. C’est donc un peu à reculons, prête à subir 2h de fusillades désordonnées, de testostérone à outrance et de soldats beuglant à l’assaut. Mais l’amour du cinéma étant sans limite, il ne s’arrête pas à ce genre de considération et pour  le bonheur de  m’enfoncer dans les sièges rouges et de voir la lumière lentement s’éteindre, c’est décidée que j’ai décidé seule et non contrainte d’aller voir un film de guerre ! Force est pourtant de constater que ce n’est pas aujourd’hui que j’accomplirai l’exploit !

C’est en effet un film éminemment politique que nous propose ici Mathieu Kassowitz. S’emparant d’un sujet oublié et lointain, la prise d’otage de gendarmes par des indépendantistes kanaks en Nouvelle-Calédonie en 1988, il livre une analyse fine et documentée des faits en ne renonçant pas pour autant  à la qualité cinématographique.

Embarqués au coté du chef des GIGN envoyé comme médiateur, on assiste au décryptage méticuleux d’un carnage annoncé. L’attaque est rude contre la politique française qui pour satisfaire de basses rivalités électorales (on est alors à quelques semaines des élections de Mai 1988 et donc en pleine cohabitation) est prête à sacrifier des vies. Le film, construit en forme de compte à rebours jusqu’au drame nous plonge ainsi au cœur des arcanes du système politico-militaire, vaste nébuleuse bureaucratique et rigide qui peine à s’adapter à une situation inédit et mouvante, où les cas d’école ne sont pas applicables. Kassowitz soulève habilement la question de la possibilité de régler les crises par la négociation dans un système voué et bâti pour organiser la violence d’Etat. La scène finale, celle de l‘assaut est remarquable en ce sens puisqu’elle nous fait vivre en direct les réalités de la guerre moderne où malgré la technologie et l’apparence de professionnalisme, les soldats sont confrontés à l’horreur de la mort, au chao de la jungle et à l’absurdité de leur rôle. En une image, celle de GIGN paniqués devant le cadavre ensanglanté d’un kanak, Kassowitz fait surgir cette réalité dérangeante.

A l’heure des « guerres de civilisation » et des guerres lointaines érigées en croisades nationales, il est utile de se demander de quel coté sont vraiment l’ « Ordre et la morale ».

Dimanche 12 février 2012 à 20:33

 La Taupe



                 « There is a mole. Right at the top of the circus ». C’est cette phrase, prononcée dans un anglais BBC parfait et piquant qui reste en tête après ces presque 2h30 de film. Ces quelques mots et cette ambiance unique et surannée. On es plongé dans un univers secret, un terrier complexe et souterrain envahi par une brume qui rend tout étrange et angoissant. C’est en effet l’esthétisme parfait du film qui frappe en premier, cette distinction toute britannique, ce « Londres plein de brouillard et de gens sérieux » cher à Oscar Wilde. Alternant travelling majestueux et huis clos oppressant, la mise en scène d’une rare maitrise vous happe en quelques minutes pour ne plus vous lâcher.

Et il est préférable de ne pas lâcher une demi-seconde cette intrigue d’une rare complexité, doublée d’une construction alambiquée à souhait. D’ailleurs, on est jamais bien sûr de tout comprendre mais qu’importe. Ce qui compte ici c’est l’atmosphère, on l’a dit, mais aussi les acteurs. On retrouve toute la joyeuse bande des « acteurs britanniques » : Colin Firth, John Hurt et le formidable Gary Oldman pour ne citer d’eux qui se surpassent dans le flegme et l’ironie qui leur est propre.

Un « tea time » parfait mais surtout un « grand » film, de ceux qu’on sent qu’ils vont compter tant ils s’imposent d’emblée à vous comme des évidences. A voir après une sieste et une dose de Guronsan !! 

Dimanche 19 février 2012 à 17:11

 
"La dame de fer":  une réalité d'enfer dans des plans insipides

     Quand j’ai entendu parler d’un projet de film sur Thatcher incarnée par Meryl Streep, mon enthousiasme n’égalait que ma curiosité à découvrir ce que donnerait ce mélange détonnant. L’icône du féminisme de gauche et le dragon du néo-libéralisme, la contradiction n’était pas des moindres !


Mais ce qui était voué à faire l’intérêt et la complexité du film tombe à l’eau tant le scénario s’échine à gommer méticuleusement tout aspect du personnage pouvant prêter à controverse (c’est à dire à peu près tout !).

Il faut quand même souligner l’extraordinaire détermination du réalisateur qui réussi ce tour de force de transformer « La dame de fer » en une figure fade et sans intérêt. L’astuce ? La montrer en vieille femme sénile et détruite par la perte de son fidèle époux, trublion attachant qu’elle a martyrisé toute sa vie et dont elle redécouvre, une fois mort, les charmes irrésistibles.


On assiste donc à une enfilade d’ennuyeuses scènes de sénilité dont l’accablante  et pesante répétition est destinée à vider de tout caractère sulfureux les quelques images d’archives qui révèlent par bribes décousues la réalité du personnage. Ce qui devrait constituer l’essentiel du film est donc réduit au statut de séquences-clip. Cette réalité historique frappante, celle de CRS tabassant les syndicalistes, des sous-marins nucléaires aux Malouines ou encore des prisonniers de l’IRA mourrant de faim dans leurs cellules, semble n’avoir pas sa place dans la vie si rangée de Melle ROBERTS, fille d’épicier respectable dont l’ascension en politique apparaît sans heurts autres que son combat de femme dans un monde d’homme. Thatcher féministe !? C’en est trop ! Du film mielleux et insignifiant, on passe au plaidoyer par défaut de celle qui incarne aujourd’hui une droite dure quasi unanimement critiquée. Le risque n’était donc pas grand de montrer le vrai visage de cette femme ambitieuse et sans pitié, et le refus de le faire apparaît d’autant plus comme un acte de lâcheté inexcusable.

Et Meryl Streep dans tout ça ? On a d’abord envie de la sauver de ce naufrage, de l’isoler de ce produit fini insipide en saluant son interprétation incroyablement physique et impliquée, comme à son habitude, mais le peut-on ? En acceptant de mettre son image de femme engagée de gauche au service de ce film coupablement centriste, elle participe malgré elle à cette entreprise de réhabilitation.


Une grosse déception donc face à ce qui aurait pu être un grand film et qui se transforme en un défilé d’images insipides qui semblent s’excuser d’exister. 

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