LaPolisphere

La sphère politique

Mercredi 25 janvier 2012 à 23:33

 L'amour dure 3 ans

Si 3 années font une histoire d’amour, 3 mots suffisent pour parler du dernier film de Beigbeder.

Agaçant

« Tête à claque », c’est ainsi que son éditrice qualifie dans le film le livre de Marc Marronnier, avatar fidèle de son créateur, Frédéric Beigbeder. Impossible de s’y tromper : même nez proéminent (que dis-je un cap, une péninsule !), même arrogance, même désinvolture de gosse de riche.

En effet, le sentiment qui ponctue l’heure et demi  de film est celui de l’agacement, voire de l’exaspération devant tant d’application à être insupportable.

Tout dégouline d’auto citation pompeuse. Le principe même du film d’abord puisqu’il se veut une libre variation autour du livre « L’amour dure 3 ans », abondamment cité (on va jusqu’à faire défiler à l’écran les bon mots de Beigbeder !). S’ajoute à ça le défilé méthodique et quasi-exhaustif de toute la joyeuse bande des mondains-parisiens de St Germain : la bande de Canal + au grand complet (Louise Bourgoin en tête), mais aussi Nicolas Rey ou encore  Filkenkraut au plus haut de sa forme en bégayeur fascisant.

Que dire enfin du héros : snob et misogyne à souhait ! Mais cet argument, largement mobilisé pour décrier le film n’est pas valable à moins de souhaiter la monopolisation systématique du premier rôle par des pantins fades et dégoulinant de bonnes intentions.

Pesant

            C’est clair, Beigbeder n’est pas cinéaste ! La mise en scène est d’une lourdeur peu commune, lestée par des confessions intimes face caméra qui trahissent une incapacité à adapter un roman à la première personne.

On passera sur l’accumulation des scènes-clichés en tout genre, du topos romantique culcul à souhait à la fameuse scène du mariage gâché en passant par les épisodes pseudo tragiques de pendaisons ratées. Au final, on a une bizarre sensation de déjà vu, de copier-collé du film branché à succès.

Cependant, le problème principal réside dans le degré rarement atteint de fausseté de l’acteur principal. Gaspard Proust ne parvient pas à se dépêtrer de son double-créateur et malgré une similitude physique certaine est d’une fadeur rare, semblant en permanence s’excuser d’être là.

Amusant

            Mais au final, il faut bien le dire, on rit, même si c’est de façon ponctuelle et pas toujours très intellectuelle. Car s’il y a une chose à sauver dans ce film c’est bien le jeu de ses acteurs (mis à part on l’a dit, le calamiteux Gaspard Proust).

            Louise Bourgoin illumine le film de sa bonne humeur et de sa présence, même si l’on hésite parfois sur les véritables causes de son incroyable capacité à jouer la cruche illuminée. Valérie Lemercier, égale à elle même campe parfaitement son rôle d’éditrice sans pitié. Quant à Joey Star, il vaut à lui tout seul le coup de se déplacer pour l’extraordinaire rôle de composition qui lui est ici confié (je n’en dit pas plus, vous comprendrez !).

 

            

Vendredi 27 janvier 2012 à 18:44

J.Edgard

Connaissez vous la « recette à Oscar ? », Clint Eastwood en tous cas l’a lu avec attention avant de réaliser son dernier opus.

Prenez un grand homme, américain de préférence, mort évidemment, associable c’est encore mieux. Ajoutez y une pincée d’humanité grâce à l’épice magique de l’enfance douloureuse (ici une mère tyrannique et castratrice).

Mélangez tendances tyranniques mégalomanes et ultra sensibilité refoulée (et oui, Hoover était gay !) les névroses jusqu’à obtention d’une pâte ambiguë et contradictoire à souhait.

Faire ensuite revenir de beaux acteurs bankable et branchés : j’ai cité THE Léo, ingrédient indispensable à tout grand film oscarisable et, il faut le dire magistral, un beau gosse tout frais et stylé à souhait (Armie Hammer), une jolie-mais-quand-même-intelligente, j’ai nommé Naomi Watts boboisée par ses apparitions remarquées chez Woody Allen, Haneke et Cronenberg, et enfin la grande Judi Dench.

Prenez garde à ne pas trop assaisonner, le sujet de base étant déjà très salé en ces temps de terrorisme menaçant. Le mélange final doit pouvoir convenir à tout le monde et ne choquer aucun palais délicat. Vous vous contenterez donc d’un peu de moralisme apolitique même si cela ressemble parfois à une prise de parti par défaut, tant il semble difficile de ne pas traiter politiquement un personnage si controversé.

Enfin, pour la décoration parsemez d’un maquillage digne du musée Grévin qui vous permettra d’obtenir un mélange parfaitement gélifié et inexpressif

Laissez cuire au moins deux heure.

C’est prêt !

 

Mercredi 1er février 2012 à 20:14

Et si on vivait tous ensemble ?

 

En ces temps mornes d’individualisation maximale et de culte de la propriété, la formulation même du projet, d’apparence pourtant banale, fait tilt, évoquant instantanément de jeunes et vaillants insurgés, des tentes plantées à Wall Street et d’utopiques slogans.

La réalité est à la fois plus nuancée et décalée : une utopie du 3e age. Et c’est d’abord cela qui surprend agréablement. Parler de la vieillesse au cinéma est à la fois rare et tabou ; recalé d’emblé comme ennuyeux, angoissant et loin des préoccupations de spectateurs plutôt jeunes qui aspirent à rêver et à s’évader. Plus généralement, vieillir c’est envahir, menacer de son altérité une société qui se rêve efficace, rapide et sexy,  idéal que n’incarnent pas vraiment ces retraités bedonnants, fripés et trainant du pied.

Et la encore le film de Stéphane Robelin surprend en nous présentant une bande de joyeux lurons, certes affaiblis physiquement mais qui pourraient nous donner de belles leçons de vie ! On ressort boosté par cette impressionnante brochette d’acteurs (Guy Bedos, Pierre Laurent, Claude Rich, Géraldine Chaplin et la superbe Jane Fonda) campant des personnages attachants. Sous perfusion de vin rouge et de bonne bouffe, fidèles à leurs retrouvailles du dimanche midi, encore très portés sur le sexe, ils savent profiter de leurs dernières années et nous donnent envie de profiter pleinement de toutes celles qu’ils nous restent.

Au final un sujet original et actuel joliment traité.

 

Mercredi 8 février 2012 à 23:07

 «Elles»
Entre coup de coeur et coup de gueule, le film qui fait débat



C’est un film qui résiste, ne dit jamais ce qu’on aimerait entendre. D’emblée on est immer- gés dans une réalité dérangeante, celle de jeunes étudiantes qui se prostituent. On arrive malgré soi pleins de préjugés, prêts à plaindre ces pauvres petites forcées de vendre leur corps pour survivre ; se reconnaissant dans l’attitude de Juliette Bi- noche : celle qui observe de loin ce monde mé- connu. Mais la force de « Elles » c’est de brouiller en permanence les repères, de bousculer nos at- tentes, de balayer d’un revers de main nos préju- gés. Et c’est sans doute ça qui en agace certains, cette sensation d’inconfort, de ne jamais pouvoir tenir pour certaine la moindre affirmation plus de quelques minutes.

 

« C’est comme la clope en fait, c’est dur d’arrêter ». Voilà l’explication que donne une des deux jeunes étu- diantes interviewées par le personnage de Juliette Binoche (Anais Demoustier éclatante de spontanéité). C’est cette facilité qui choque, ce détachement qui déstabilise la jour- naliste autant que le spectateur, comme si il était interdit de prendre avec autant de désinvolture un tel acte. « Une pute c’est une pute », comme le dit si bien l’écœurant époux propre sur lui de Juliette Binoche (Louis Do de Lencque- seing, toujours aussi parfait dans son rôle de petit bour- geois macho limite salaud), et se doit par la même d’être l’archétype de la femme désespérée et soumise. Et c’est bien ce qui dérange ici, cet inversement des rôles qui fait de la « putain » une jeune fille ordinaire, bien dans sa peau et dans sa sexualité ; et de la « maman » l’épouse rejetée par son mari et malheureuse au lit, dont l’attitude se confond peu à peu avec celle de la prostituée.

La réalisatrice nous plonge dans un univers à la limite du documentaire où tout prend l’allure un peu surnatu- rel d’un objet scruté au microscope : apparemment clair à l’œil nu, flou au premier coup d’œil dans l’objectif et pro- gressivement de plus en plus clair. C’est cette démarche la qu’il faut accepter : cette vérité qui ne vient qu’après.

Vendredi 10 février 2012 à 18:48

 L'ordre et la morale ou le chao colonialiste


Une silhouette agenouillée, un drapeau en berne, un ciel chaotique, l’affiche du dernier opus de Kassowitz, « L’ordre et la morale » n’a rien d’alléchant. C’est donc un peu à reculons, prête à subir 2h de fusillades désordonnées, de testostérone à outrance et de soldats beuglant à l’assaut. Mais l’amour du cinéma étant sans limite, il ne s’arrête pas à ce genre de considération et pour  le bonheur de  m’enfoncer dans les sièges rouges et de voir la lumière lentement s’éteindre, c’est décidée que j’ai décidé seule et non contrainte d’aller voir un film de guerre ! Force est pourtant de constater que ce n’est pas aujourd’hui que j’accomplirai l’exploit !

C’est en effet un film éminemment politique que nous propose ici Mathieu Kassowitz. S’emparant d’un sujet oublié et lointain, la prise d’otage de gendarmes par des indépendantistes kanaks en Nouvelle-Calédonie en 1988, il livre une analyse fine et documentée des faits en ne renonçant pas pour autant  à la qualité cinématographique.

Embarqués au coté du chef des GIGN envoyé comme médiateur, on assiste au décryptage méticuleux d’un carnage annoncé. L’attaque est rude contre la politique française qui pour satisfaire de basses rivalités électorales (on est alors à quelques semaines des élections de Mai 1988 et donc en pleine cohabitation) est prête à sacrifier des vies. Le film, construit en forme de compte à rebours jusqu’au drame nous plonge ainsi au cœur des arcanes du système politico-militaire, vaste nébuleuse bureaucratique et rigide qui peine à s’adapter à une situation inédit et mouvante, où les cas d’école ne sont pas applicables. Kassowitz soulève habilement la question de la possibilité de régler les crises par la négociation dans un système voué et bâti pour organiser la violence d’Etat. La scène finale, celle de l‘assaut est remarquable en ce sens puisqu’elle nous fait vivre en direct les réalités de la guerre moderne où malgré la technologie et l’apparence de professionnalisme, les soldats sont confrontés à l’horreur de la mort, au chao de la jungle et à l’absurdité de leur rôle. En une image, celle de GIGN paniqués devant le cadavre ensanglanté d’un kanak, Kassowitz fait surgir cette réalité dérangeante.

A l’heure des « guerres de civilisation » et des guerres lointaines érigées en croisades nationales, il est utile de se demander de quel coté sont vraiment l’ « Ordre et la morale ».

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